Antony Erb- Roman

EXTRAIT SAVOIR

EXTRAIT SAVOIR

Troh choisit d’étudier Langues O’.
Langues O’ ? Pour faire quoi ? Interprète, représentant local d’une société ou d’une administration française de second ordre dans un comptoir reculé ? Pourquoi ne choisissait-il pas de répandre le savoir et la culture française, plutôt que d’apprendre ceux de colonies sous-développées ? demanda Palmova.
Peu convaincue par son choix, elle ne lui interdirait certainement pas, songea-t-elle en pensant au commandant. Mais tout de même, interprète, ça faisait un peu larbin du pacha. Il fallait plutôt porter le français haut et fort et se le faire traduire, mais l’inverse, imaginez ! Et elle se représenta un indigène africain, déclamant, comme dans Zig et Puce, son dialecte local aux sonorités de tam-tam. Un interprète à ses côtés, en costume noir et chaussures blanches, débitait en français le charabia de l’autochtone et, par le seul fait de le traduire, ennoblissait déjà son langage primitif, tout aussi directement remplaçable par la langue de Molière sans prendre la peine d’une traduction dont cent mots de vocabulaire auraient suffi à retranscrire les subtilités.
Ainsi Troh irait-il à Ouagadougou, ou bien à Pondichéry traduire servilement le tamoul enturbanné pour un nabab du curry empestant le clou de girofle sous ses madras criards, et ce professionnel de l’association d’épices fortes et de couleurs vives découvrirait peut-être en échange le raffinement des parfums et le chatoiement des étoffes de la mode parisienne dont il ne saurait apprécier l’élégance. Fallait-il donc des interprètes pour ces sauvages ? conclut-elle pour elle-même.